A l’occasion d’un travail sur les réseaux d’éducation prioritaire, j’ai demandé des données détaillées au ministère de l’Éducation nationale. Celui-ci a refusé. Deux fois.
L’an dernier, Ariane Azéma et Pierre Mathiot rendaient un rapport à Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, à la suite d’une mission « Territoires et réussite ». La mission devait apporter « une vision globale sur l’évolution de la politique d’éducation prioritaire et la définition de politiques dédiées au monde rural dans toute sa diversité ».
Indice de position sociale
Dans ce cadre, les deux co-auteurs avaient notamment abordé la question des écoles « orphelines », à savoir celles dont le niveau socio-professionnel des élèves leur permettraient de rejoindre les réseaux d’éducation prioritaire (REP), mais qui n’en font pas partie, parce que le collège dont elles dépendent ne sont pas en REP. En effet, l’appartenance à ces réseaux se fait en fonction du niveau du collège. La Voix du Nord ou l’Œil du 20 Heures de France 2 avaient évoqué leur sort.
Pour traiter ce sujet pour la Gazette des communes, où je travaille, et notamment pour identifier ces écoles « orphelines », j’ai demandé au ministère de l’éducation nationale le détail de l’indice de positionnement social (IPS) par école en novembre 2019. Cet indice réalisé pour chaque élève de collège, « aurait pour vocation de synthétiser davantage de dimensions (sociales, économiques, culturelles) », notait Thierry Rocher en 2016. Il n’est pas utilisé en tant que tel pour classer les établissements en REP, mais reprend des critères similaires.
« Ainsi, en retenant un IPS équivalent ou inférieur à 78 (soit la médiane des écoles de l’éducation prioritaire REP+ et REP) on décompte en France métropolitaine et DOM 471 écoles scolarisant 55 126 élèves non labellisées éducation prioritaire. Parmi celles-ci, la majorité est en commune urbaine, principalement en QPV mais 20 % appartiennent à l’espace rural, principalement en rural éloigné. Par ailleurs, 20 % de ces écoles sont situées dans les départements d’outre-mer. »
Ariane Azéma et Pierre Mathiot, Rapport de mission « Territoires et réussite »
« Nous ne sommes pas en mesure de vous fournir les données demandées »
Vous connaissez le refrain : j’ai attendu une réponse qui n’est pas venue, j’ai saisi la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), j’ai attendu une réponse de la CADA, qui est arrivée en septembre 2020 – près d’un an après ma demande initiale. Relancé, fort d’un avis favorable de la CADA, le ministère de l’éducation nationale m’oppose une fin de non-recevoir assez claire :
« La direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) nous informe qu’elle ne diffuse ni indice de positions sociales, ni indice d’éloignement, ni PCS ni aucun indicateur construit par la DEPP, en dessous du niveau département. Nous ne sommes donc pas en mesure de vous fournir les données demandées. »
Ministère de l’éducation nationale, 9 octobre 2020.
J’ai donc déposé un recours devant le tribunal administratif de Paris le 14 octobre 2020 pour contester ces refus. Je bénéficie en celà de l’appui de la CADA, puisque son avis sur le sujet est assez clair.
Intérêt général
Le ministère de l’éducation nationale soutient que la diffusion de ces données au niveau des établissements irait à l’encontre de l’intérêt général, notamment parce que cela encouragerait les classements et l’évitement scolaire. La CADA rétorque :
« Les exceptions au droit d’accès doivent être prévues par la loi ou en être la conséquence nécessaire. Or, aucune de ces préoccupations légitimes ne trouve, en l’état actuel de la réglementation, d’accroche législative. »
Commission d’accès aux documents administratifs, 24 septembre 2020
On peut par ailleurs argumenter aussi que ces indicateurs peuvent déjà être connus de plusieurs acteurs, notamment les professeurs des écoles, qui en disposent dans une application métiers (l’APAE, par exemple). Il a ainsi permis au directeur académique du Nord, Jean-Yves Bessol, de rediriger les moyens des collèges.
Le ministère de l’éducation nationale soutient également que la publication des IPS pourrait être stigmatisant pour les élèves, ce qui entrerait donc dans le champ du 2o de l’article L. 311-6 du CRPA :
« L’IPS de l’établissement pourrait devenir un facteur d’appréciation de leurs candidatures, et donc de discrimination, notamment à l’égard de leurs recherches de stages ou d’emploi en fin de collège ou de lycée. »
Sur ce point, laissons la parole à la CADA :
« La communication d’un indice moyen, l’IPS d’un établissement, obtenu par la moyenne des IPS de chacun des élèves, ne porte pas en elle-même atteinte à leur vie privée mais révèle une situation objectivée par le traitement statistique. Elle considère, pour le même motif, que cet indice, ne porte pas en lui-même, une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable. »
La décision est désormais entre les mains du tribunal administratif de Paris. Rendez-vous dans plusieurs mois.
Une réponse sur « L’éducation nationale accrochée à ses données »
[…] et les collèges, à la suite d’un recours que j’avais déposé, comme je l’avais déjà raconté ici. Ces indicateurs ont été mis en ligne (ici et là) le 13 octobre, et ont, depuis, été utilisés […]