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«Mémoire des hommes» et le Centenaire de 14-18, l’occasion ratée d’une base ouverte des morts pour la France

1,3 millions de Français sont morts au combat pendant la Première guerre mondiale et ont obtenu la mention «Mort pour la France». Les registres ont été numérisés et sont accessibles en ligne, permettant une plongée singulière dans le conflit et ses conséquences meurtrières. À l’occasion du début du centenaire de la Première guerre mondiale, fin 2013, le ministère de la défense a lancé une initiative pour enrichir les fiches et permettre aux internautes de soumettre des annotations. Cela s’est fait tout au long du Centenaire, notamment grâce à l’opération 1jour1poilu, lancée par un «simple internaute». Aujourd’hui, près de 1,8 millions d’annotations ont été faites. Ces annotations sont enregistrées sur une base parallèle. Il existe aujourd’hui donc deux bases. Un webmestre corrige manuellement les fiches en fonction des annotations, les vérifiant une par une.

Les morts du 9 avril 1916 cartographiés par le Fig Data.

Pourquoi en parler aujourd’hui ? Il y a quelques jours, nous fêtions les 100 ans de l’Armistice. Voilà une belle matière à mettre en scène pour illustrer les horreurs de la guerre ont pensé plusieurs journalistes et quelques chercheursLe Figaro a réalisé un article interactif sur le sujet, en n’utilisant les données que de douze départements, ceux où le plus d’hommes – n’y a-t-il que des hommes ? –  sont tombés. Le Berry Républicain a pu cartographier les lieux où les poilus du Cher ont péri. Mais aucun article ne propose de visualiser ou d’analyser l’intégralité de la base : elle n’est pas disponible.

«Ce n’est pas parce qu’il y a une loi que les problématiques techniques s’envolent»

«Si l’internaute peut effectuer une recherche dans l’ensemble de ces données, il ne lui est actuellement pas possible d’effectuer d’export de la base», explique le site, dans un article récemment mis en ligne. L’ensemble de l’architecture a été conçue avant les lois Valter (2015) et Lemaire (2016) sur l’open data, notent les responsables de la base. «Quand on a conçu la base, la problématique de l’export n’existait pas, m’a expliqué le Secrétariat général des armées. La loi a encouragé l’open-data, mais les gens oublient que ce n’est pas parce qu’il y a une loi que les problématiques techniques s’envolent.»

Techniquement, deux bases de données cohabitent, l’une avec les annotations  – qui donnent accès à de nouvelles informations – et l’autre, consolidée. Et elle ne sont accessibles que lorsque le site l’est. Et le site a souffert quelques cahots en ces temps où 14-18 est au centre de l’actualité. Un export complet de la base prendrait un jour entier de travail à un webmestre dont la base des morts lors de la Première guerre mondiale n’est qu’une tâche parmi d’autres. Les quelques demandes d’accès à la base se sont soldées par des consensus, permettant de satisfaire aux mieux les personnes intéressées tout en n’étant pas englouti par les contraintes techniques.

La base sera prochainement accessible

Mais s’il est vrai que l’open data était loin d’être la règle en 2013, plusieurs initiatives avaient déjà eu lieu, et les demandes d’export sont arrivées à peine le site publié.  La loi Valter – qui recommande l’open data et supprime la plupart des redevances – et la loi Lemaire – qui rend l’ouverture des données un principe par défaut – n’étaient certes pas encore votées en 2013. Mais Etalab et le site data.gouv.fr existaient depuis 2011. Et Jean-Marc Ayrault avait signé une circulaire rapportant l’importance de l’ouverture des données un an après son arrivé à Matignon, en septembre 2013.

Aujourd’hui sont disponibles en ligne quelques données, mises en ligne par le le réseau de création et d’accompagnement pédagogiques (Canopé) du Val-de-Marne, qui a travaillé avec des écoles sur les morts de la Première guerre mondiale dans leurs communes. Les quelques départements diffusés à la presse n’ont pas été diffusés. Le Parisien de son côté à travaillé sur une autre base de données, maintenues par des bénévoles à partir des noms présents sur les monuments aux morts. Un export complet de la base «Mémoire des hommes» sera prochainement possible, m’assure le SGA.

Un exemple qui montre que la contrainte de la loi n’agit pas comme une baguette magique ouvrant les données à la volée. «Une grande partie des données ne préexiste pas aux projets d’open data et que leur ouverture est un processus d’instauration qui les fait progressivement advenir», notaient Jérôme Denis et Samuel Goëta en 2016. De nombreuses contraintes existent par ailleurs qu’elles soient culturelles ou techniques. Et les nombreux logiciels d’État conçus – ou bricolés – avant que l’open data ne soit un principe ne permettent d’ouvrir facilement les informations qu’ils contiennent, et ses concepteurs n’avaient parfois même pas anticipé que ce puisse être une possibilité.

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