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Texas : un dimanche en famille

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Le dimanche après Thanksgiving, je l’ai passé dans une église baptiste missionnaire. L’église est située en bordure d’un petit village du nord du Texas au cœur de l’Amérique de Donald Trump. Une église fondée par une famille, où principalement seule celle-ci se rend. On ne peut résumer ces gens à une seule opinion et généraliser. Au sein de la famille, le spectre est large sur de nombreux sujets. Reste que les sermons étaient ponctués de nombreux «Amen» pour les propos les plus radicaux.

Un dimanche à l’église, ça commence vers 9 heures 30. Il y a une salle à côté de l’église proprement dite. Les femmes déposent au four ou sur les plaques chauffantes les plats qu’elles ont préparé la veille ou le matin même. Les hommes discutent ou répètent les quelques nouvelles chansons de la journée. A 10 heures, tout le monde se rassemble dans l’église. Après trois ou quatre chants, un premier homme, celui qui joue de la guitare pour accompagner les chants, se présente devant les autres et se lance dans une explication un peu brouillonne de ses lectures de la Bible. Chacun a amené sa propre Bible. Des passages y sont soulignés, surlignés. La lecture, et l’étude de la Bible est parmi les premiers devoirs d’un bon chrétien. Quelques chants encore, pendant lesquels circule une panière. L’offrande du jour est affichée fièrement sur un tableau : 912 dollars pour 24 personnes présentes.

L’homme à la guitare demande ensuite s’il y a des «specials» aujourd’hui. Un chant en particulier, une intention de prière. On fait le tour de l’assemblée. Certains évoquent tel proche malade, tel autre préparant un long voyage. Une famille, les deux parents et leurs cinq enfants, se rapproche du piano pour chanter un chant qu’ils ont dû répéter les jours précédents. L’église est sobrement décorée. Un drapeau américain et un drapeau texan encadrent le pupitre, les ventilateurs tournoient. Un poster déploie la chronologie mondiale, commençant à Adam et Eve, puis la Tour de Babel, début de nos différentes civilisations.

Vient ensuite le second sermon. Un prêcheur de passage, qui a été hébergé par les membres de l’église dans la nuit de samedi à dimanche. Il a reçu un chèque pour son prêche du jour. Il raconte qu’il a passé quelques jours dans sa famille pour lesquels il était impatient, mais qu’il attendait aussi avec autant d’impatience son passage dans cette église. Le prêche était très ennuyeux. Je n’ai guère retenu de quoi il parlait. Dieu est descendu parmi nous, il s’est fait humble. Il possède tout ce que nous utilisons, mais il est sympa, il nous laisse l’utiliser. Le plus intéressant dans tout ça était la manière dont d’un coup, sur une phrase, il pouvait partir dans une petite transe. Son débit s’accélérait, il parlait plus fort, il s’énervait.

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Après le second prêche et deux autres chants, c’est l’heure du déjeuner. «Potluck», comme ils disent, où chacun ramène quelque chose. A 13 heures pétantes, après que les femmes ont rangé les plats, nettoyés les couverts, la deuxième cérémonie de la journée peut commencer. Auparavant, elle avait lieu à 16 heures 30, mais les coûts de chauffage ont contraint à rassembler les deux cérémonies autour du déjeuner. Le père de famille nombreuse va faire à son tour un prêche. Il a 29 ans, son discours est moins ennuyeux, marqué par des références à l’actualité ou la pop culture. Il évoque les gens qui donnent leur argent pour des bonnes causes, et les églises qui prétendent racheter les indulgences. Ce n’est pas, rappelle-t-il, le sens de leur église. Pour les «born again», la seule manière d’être bien vu de Dieu, c’est de l’avoir auprès de soi tous les jours. Le seul moyen d’être un bon chrétien est à chaque instant si on se comporte tel que Dieu et la Bible l’inspirent.

Ce jeune homme explique ensuite qu’il essaie chaque jour d’être un bon père dans le monde actuel. Il veut protéger l’innocence de ses enfants le plus longtemps possible. Je l’ai vu ainsi demander à ses enfants de se cacher les yeux lorsqu’à l’écran une publicité montrait un monde un peu trop réaliste le temps de changer de chaîne. Il protège également ses enfants de l’école publique, où des toilettes sont construites pour les trans. «Un garçon est un garçon et une fille est une fille», martèle-t-il, prenant exemple sur ses propres enfants. Un Monster truck entre les mains de sa fille serait câliné comme une poupée, alors qu’une poupée entre les mains de son fils serait utilisé comme un marteau. Et même si personne n’oblige vraiment les écoles publiques à construire des toilettes pour les trans, il n’y scolarise pas ses enfants. Il se compare à Loth vivant au cœur de Sodome. D’ailleurs, explique-t-il, les «sodomites» sont perdus devant Dieu s’ils ne se repentent pas. L’environnement actuel, propice aux trans et aux «sodomites» n’est qu’un signe supplémentaire de l’arrivée de la fin des temps. Tout comme la technologie, qui encourage la formation d’un seul gouvernement mondial, prophétisé dans la Bible comme le signe annonciateur de la fin des temps. Ainsi se termine le sermon…

Il lui fut donné une bouche qui proférait des paroles arrogantes et des blasphèmes; et il lui fut donné le pouvoir d’agir pendant quarante-deux mois. Et elle ouvrit sa bouche pour proférer des blasphèmes contre Dieu, pour blasphémer son nom, et son tabernacle, et ceux qui habitent dans le ciel.

Et il lui fut donné de faire la guerre aux saints, et de les vaincre. Et il lui fut donné autorité sur toute tribu, tout peuple, toute langue, et toute nation. Et tous les habitants de la terre l’adoreront, ceux dont le nom n’a pas été écrit dès la fondation du monde dans le livre de vie de l’agneau qui a été immolé.

– Apocalypse 13:2-8

Un dimanche au sein de cette famille n’est pas suffisant pour tout comprendre. Ce qui est sûr, c’est que Donald Trump n’était pas leur candidat de cœur. Avide d’argent, courant d’un poste à l’autre en quête de puissance… Pour eux, c’était vraiment «n’importe qui sauf Clinton». Elle aurait abîmé l’économie, et est beaucoup trop intrusive dans le choix des américains. Le pouvoir doit revenir au peuple, et l’Etat doit être le moins interventionniste possible. Sauf, «pour les enfants» qui sont dans une position où ils ne peuvent pas décider, «c’est pourquoi je suis anti-avortement», m’explique la mère de famille nombreuse après l’église. Elle me parlera des policiers «tués par Black Lives Matter» à Baton Rouge, en Louisiane, quand l’homme lui même déclarait n’être affilié à aucun groupe. Si des hommes noirs sont tués par la police, c’est simplement qu’ils commettent plus de crimes que les autres, poursuit-elle. Tout au long de son discours, les noirs sont désignés par un «ils» autant ignorant que méprisant. Ses discours sur l’immigration alimentés par les quelques mexicains qui ont travaillé à côté de chez elle, et qui refusent d’avoir des vrais papiers. Il faut dire qu’en quelques jours sur place, je n’ai vu aucun Noir, ni de Latinx.

Cette famille, que je connais depuis 15 ans est très accueillante. Du moins avec moi, jeune Français blanc dont ils supposent l’héterosexualité. Le fait que ni moi ni mes frères, entre 25 et 30 ans, ne soient mariés les inquiète un peu. «C’est anormal». La famille est sacrée. Ils se filent des coups de mains, se voient souvent, communiquent constamment. Leur église missionnaire s’y fond. S’ils le pouvaient, ils vivraient en autarcie. Une des rares fenêtres sur le monde est Fox News, tournant toute la journée sur le téléviseur familial, quand ce ne sont pas des dessins animés de Walt Disney ou d’autres, préalablement validés. Je n’ai pas réagi quand ils ont proféré nombre de propos que je n’accepterai de personne d’autres. Je n’ai pas bougé quand depuis le banc de l’église j’écoutais les paroles homophobes, transphobes et racistes. À peine ai-je levé un sourcil quand ils m’ont demandé, avec ironie : «En France, je parie qu’ils adorent Donald Trump !»

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