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« Affaire conclue » et la démocratie participative

L’après-midi, quand il n’y a pas de réunion et que mon travail autorise un bruit de fond, je branche mon ordinateur sur Affaire conclue, une émission de France 2, diffusée entre 16 heures et 18 heures. Le principe est simple : des gens apportent des objets pour les vendre aux enchères à des acheteur·ses plus ou moins intéressé·es.

Je trouve que cette émission permet de bien saisir, du début à la fin, ce que devraient être les consultations citoyennes. Revenons en détail sur le déroulement d’une vente, à partir du moment où une personne entre dans le studio d’enregistrement, pour vendre un objet qui lui appartient.

Elle peut avoir fait des recherches sur internet pour en savoir plus sur cet objet, elle peut avoir reçu des informations de sa famille, ou de la personne qui a donné l’objet… Elle peut aussi n’en rien savoir. Tout ce qu’il faut savoir sur cet objet va être confirmé, ou infirmé par un·e expert·e. Mais d’abord, il faut discuter avec Sophie Davant.

Sophie Davant adapte l'émission «Affaire conclue» depuis chez elle en  visioconférence

Étudiant l’objet, vérifiant les matériaux, l’expert·e va permettre à la personne qui vend d’acquérir le plus d’information possible, identifier les points forts et les points faibles, donner un contexte historique, et va également lui donner une estimation du prix qu’elle peut en tirer. Si l’objet est un faux, ou que l’on doute de son authenticité, l’expert·e peut également ne pas autoriser la vente.

Fort de ces connaissances nouvelles et d’un prix indicatif, le vendeur ou la vendeuse se dirige ensuite vers les acheteur·ses. Chacun fait son petit manège, les acheteur·ses en tentant d’obtenir un objet qui les intéresse pour le moins d’argent possible, les vendeur·ses de repartir les poches pleines d’argent (avant la crise, on voyait même les échanges de billets). Tout ce petit monde discute directement, en face à face. Et l’acheteur·se peut accepter ou non l’offre la plus haute, connaissant l’estimation et ses propres espoirs.

On a donc une personne avec une mission assignée, à qui l’on donne le plus d’informations possibles lui permettant de faire un choix raisonné et qu’on laisse ensuite libre de faire ce choix. Un choix qui est ensuite respecté. Autant d’éléments qui, à mon sens, devraient se retrouver dans les consultations citoyennes.

On pourrait donc résumer ça comme le test « Affaire conclue » :

  1. Un objectif clair
  2. Un passage devant l’expert·e, pour connaître autant que possible le sujet, avoir une idée de ce qui est une bonne solution ;
  3. Une négociation entre pairs sur la décision à prendre, où la personne est impliquée et pèse sur la décision finale ;
  4. Une réelle prise en compte de la décision de la personne impliquée.

Prenons par exemple la consultation citoyenne lancée le 8 avril par Elisabeth Moreno sur les discriminations. Elle propose tout un tas de solutions, par exemple, l’utilisation des caméras-piétons pour encadrer les contrôles d’identité. Passons sur le fait que cette mesure est présentée comme une solution nouvelle alors qu’elle a déjà été expérimentée il y a plusieurs années. Passons sur le fait que le marché public est déjà passé pour des caméras. Autant pour une solution nouvelle.

Il manque ici le passage important, celui qui permet au citoyen de se faire un avis informé, c’est à dire le passage devant l’expert·e. Il n’en est rien, le gouvernement se contente d’indiquer :

Généraliser la captation vidéo des contrôles d’identité, via l’usage strictement encadré des caméras-piéton. Chaque patrouille en sera équipée pour répondre à un double enjeu : celui de la transparence pour l’amélioration de la relation avec la population, et celui de la protection de l’action des forces de sécurité intérieure.

Consultation citoyenne sur les discriminations

Pourtant, il suffirait d’indiquer aux citoyen·nes participant·es qu’une expérimentation s’est déroulée entre le 1er mars 2017 et le 1er mars 2018 d’enregistrement systématique des contrôles d’identité, et qu’un bilan a été remis. Il se trouve que le bilan de la Direction générale de la police nationale dit exactement que l’enregistrement systématique « ne constitue pas un moyen de vérifier si le contrôle sur la personne est abusif »

Voilà une consultation qui ne passe donc pas le test « Affaire conclue ».

Autre exemple, avec la convention citoyenne pour le climat. On tire au sort des citoyen·nes, on leur fait rencontrer autant d’expert·es et décideur·ses qu’ils et elles le souhaitent. Ils formulent des propositions. L’exécutif prend toutes ces bonnes idées, et c’est le gouvernement qui va gérer la suite, marchander avec les lobbies, choisir une partie des mesures, en amoindrir une autre partie… Les membres de la convention, qui ont pourtant passé de nombreuses heures à connaître le sujet pour formuler ces propositions, n’ont plus trop leur mot à dire.

Encore une fois, la convention ne passe pas le test « Affaire conclue ». C’est un peu comme si on demandait à Sophie Davant d’aller vendre l’objet apporté par un·e téléspectateur·ice.

Le risque, c’est que toutes ces similis consultations n’abîment encore plus les liens entre celles et ceux qui prennent les décisions, qui organisent ces faux-semblant de consultation (en se prévalant souvent du soutien de celles et ceux qui ont participé) et les citoyen·nes, éloigné·es de la prise de décision, ou insuffisamment informé·es en amont de celle-ci. C’est peut-être un outil précieux qu’il ne s’agirait pas de gâcher en le multipliant. Ou peut-être ne sont-ce que des « espaces d’expression sans conséquence », pour reprendre le terme de la chercheuse Sarah Aguiton, qui a travaillé sur la démocratie technique qu’il faudrait rejeter tout bonnement.


Sur le sujet, il y a beaucoup à lire, notamment les travaux de Sarah Aguiton sur la démocratie technique, cité dans l’excellent livre Technologies partout, démocratie nulle part. Plaidoyer pour que les choix technologiques deviennent l’affaire de tous, que je vous recommande aussi ; l’obsession de Nicolas Cori sur Les Jours, au moment du Grand Débat, et notamment sur le créateur de Cap Collectif qui a proposé le site du Grand Débat et de la consultation sur les discriminations. Liste non exhaustive.

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