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Enquêter grâce au tribunal administratif

J’ai récemment raconté, à la suite d’une enquête pour Mediapart, comment j’avais pu en savoir plus sur le lobbying d’Uber en saisissant le tribunal administratif après un refus de communication de documents de la part du ministère de l’économie et des finances, notamment grâce au mémoire en défense.

J’ai déjà expliqué dans un article pour le GIJN comment tirer profit de la loi permettant l’accès aux documents administratifs. J’abordais brièvement la possibilité du recours au tribunal administratif, pour imposer une décision de la CADA à l’administration. Il se trouve que ces échanges juridiques peuvent être moins ennuyeux et pénibles qu’il n’y paraît.

J’aurais pu détailler ce que m’a raconté le ministère de la justice sur la publication mensuelle des statistiques carcérales. Selon eux, il faut en effet 100 à 200 heures au niveau local, 10 à 60 heures au niveau interrégional et 2 à 3 jours au ministère par mois pour faire un document récapitulant la population carcérale.

Observatoire des comportements

L’exemple du jour est plus sportif.

En 2017, je me suis intéressé à l’Observatoire des comportements de la Fédération française de football (FFF). Il s’agit d’une base de données compilant les incidents lors des matchs amateurs. J’en ai demandé la communication à la FFF. En l’absence de réponse, j’ai saisi la CADA, qui a rendu un avis favorable. En l’absence de réponse, j’ai saisi le tribunal administratif.

Je souhaitais récupérer la base de données pour en savoir plus sur ces incidents, notamment les incidents racistes, mais également pour comprendre comment chaque ligue ou district remplissait la base de données. Et plus globalement, pour me faire une idée de l’efficacité de cet outil de prévention. La violence et le racisme dans le football amateur sont des sujets récurrents. Feuilleter la PQR permet de s’en rendre compte le lundi matin.

Cet Observatoire fait l’objet d’une analyse annuelle par l’INHESJ. Dans la dernière publiée, qui date de mai 2019, il est noté : « Le peu d’incidents rapportés par certaines ligues et districts font douter la FFF de la qualité de leur participation à l’effort de recensement. »

Par ailleurs, concernant le racisme, la base de données n’est pas forcément exhaustif. « Si des injures à caractère raciste ainsi que des coups envers un arbitre ont été commis durant un même match, m’expliquait-on, seul le coup contre l’arbitre sera renseigné dans le logiciel de recensement. Ainsi, le 0,7 % s’interprète de cette manière : “ Dans 0,7 % des matchs entachés d’au moins un incident, l’acte le plus grave est à caractère raciste ou discriminatoire. ” Il ne s’agit donc pas d’un taux exhaustif. »

Au niveau local, Frédéric Sallet avait obtenu, pour Sud Ouest, un extrait de la base alimentée par la ligue de football Nouvelle-Aquitaine.

Au niveau national, la FFF a refusé de me communiquer la base, plusieurs fois. Récapitulatif :

  • 28 mars 2017 : première demande ;
  • 28 avril 2017 : premier refus, implicite selon la loi – je saisis la CADA ;
  • 6 juillet 2017 : deuxième refus – « La FFF, dont les travaux font l’objet d’une valorisation régulière de la part du Ministère des sports, ne souhaite en revanche pas donner accès à sa base de données. » ;
  • 21 juillet 2017 : avis positif de la CADA ;
  • 25 mai 2018 : troisième refus – « Après renseignement pris auprès du Ministère des Sports, les données demandées ne sont pas communicables dès lors qu’elles sont préparatoires à l’établissement d’un rapport qui fait l’objet d’une publication. » ;
  • 4 juillet 2019 : le tribunal administratif de Paris rend sa décision – « La décision par laquelle la fédération française de football a refusé de communiquer à M. Léchenet l’observatoire du comportement est annulée. (…) Il est enjoint à la fédération française de football de communiquer à M. Léchenet la base de données de l’observatoire du comportement (…) » ;
  • 23 septembre 2019 : la FFF m’evoie un extrait de l’Observatoire des comportements pour la seule saison 2017 / 2018, expurgé de nombreux détails.

Ces péripéties sont coûteuses en terme de temps, moins en terme d’argent (grâce au super portail Télérecours citoyen). Il a fallu plus de deux ans et demi pour obtenir une réponse correcte de la part de la FFF, alors qu’il s’agissait d’une demande légale.

Le processus a eu pourtant plusieurs attraits, réexploitables journalistiquement :

  • Par la longueur du processus, on sait que la FFF ne souhaite pas est très réticente à diffuser les données recueillies dans le cadre de l’Observatoire des comportements ;
  • Grâce à la procédure, j’ai pu mettre la main sur un extrait de cette base, certes très décevant. La FFF n’a donné aucun détail sur les données, leur structure, le nom des colonnes. Pour obtenir plus, une mise à jour ou une publication en ligne, il faudrait repasser par le tribunal ;
  • Grâce à la procédure, et notamment le mémoire en défense de la FFF, j’ai pu obtenir quelques informations sur la base de données :
    • « Les organes déconcertés participent spontanément à l’alimentation de cet outil, même si la FFF les incite à le faire puisqu’il leur est bénéfique » ;
    • « La base de donées de l’observatoire des comportements fait apparaître diverses informations parmi lesquelles figurent le nom des clubs, le nom des organes en charge de la compétition dans laquelle s’inscrit le match en question… »

Bref, consœurs et confrères : utilisez la justice administrative, elle le vous rendra bien.

4 réponses sur « Enquêter grâce au tribunal administratif »

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