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Accès à l’IVG en France : comment nous avons travaillé

Avec Rozenn Le Saint, nous avons publié sur Mediapart et Mediacités plusieurs enquêtes sur l’accès à l’avortement : une d’ampleur nationale identifiant les différents obstacles, une autres sur la situation en Loire-Atlantique et une dernière prochainement publiée.

Lorsque des articles sont sortis sur la difficulté d’accès à l’avortement dans un hôpital de la Sarthe, nous avons eu envie de reproduire des cartes déjà vues aux États-Unis dans un contexte bien plus compliqué, que ce soit au niveau national, ou au Texas, par exemple. L’idée était de mesurer la distance à la clinique la plus proche. De pouvoir aller zoomer localement, dans les départements ou au niveau communal, pour que chacun puisse se faire une idée. Et de l’associer à une enquête plus globale sur l’accès à l’avortement en France.

Des données

Pour réaliser cette enquête sur l’accès à l’IVG en France, nous avons du nous plonger dans les données de santé disponibles, et comprendre quoi en faire. Quelles données existent ? Que disent-elles ? Quelles différences entre les méthodes d’avortement ? Où se pratiquent-ils ? Comment fonctionne la tarification à l’acte – qui est la raison première des bases existantes – et ce que ça implique sur les données disponibles ? etc.

C’est un préalable à toute enquête sur les données : comprendre comment elles sont réalisées et les biais qu’elles charrient. Et c’est un préalable souvent très intéressant, puisqu’il permet de bien distinguer les acteurs, de commencer à les contacter, de savoir à quoi il faut faire attention lorsqu’on parle aux spécialistes.

Au final, notre principale source de données a été la Statistique annuelle des établissements (SAE) de la Drees, qui répertorie tous les hôpitaux et cliniques, et liste leurs actes depuis plusieurs années, dont l’IVG. Elle détaille notamment les méthodes employées, la prise en charge des IVG tardives, etc.

Des obstacles

C’est à partir de cette liste que nous avons réalisé une mesure de l’accès à l’établissement proposant des IVG par aspiration le plus proche. Le choix de la méthode est important, et les IVG médicamenteuses peuvent être prescrite aussi bien à l’hôpital que par des médecins généralistes, gynécologues ou sages-femmes. L’accès à l’IVG par aspiration est donc un aspect important du choix de la méthode, qui devrait être garanti aux femmes souhaitant avortement.

Les calculs ont été réalisés avec R, en utilisant notamment la librairie OSRM. Une fonction va générer une matrice des temps de trajet par la route – calculé par OpenStreetMap – entre le centroïde de chaque commune et tous les établissements concernés. Ensuite, le temps de trajet minimum est conservé. Une fois ces durées obtenues, on peut calculer combien de femmes entre 15 et 50 ans sont concernées. En moyenne en France, une femme «en âge de procréer» se trouve à 13 minutes en voiture d’un établissement, mais cela peut aller jusqu’à plusieurs heures dans les endroit les plus reculés ou les îles.

Nous avons aussi établi un tableau de bord des différents établissements et de leur pratique (taux d’IVG médicamenteuses, taux d’IVG tardives, pratique des anesthésie…) permettant à la fois de nous repérer dans les territoires, mais également à chaque internaute de se placer par rapport à la moyenne ou aux voisins.

Notre travail a été un échange permanent entre les données et le terrain. Lorsqu’on rapportait des informations d’interviews, trouvailles sur Internet ou pistes ébauchées en reportages, nous regardions ce que les données pouvaient en dire, ou ce qu’elles apportaient de plus. Les données permettaient aussi de mieux saisir la réalité d’une zone géographique, de préparer les reportages, ou de vérifier ce que certains interlocuteurs disaient.

Des fausses pistes

Lorsque par exemple nous avons appris que certaines cliniques pratiquaient des IVG en les déclarant comme fausses-couches – pour des raisons d’argent, nous avons cherché, dans les données de ScanSanté, les actes d’aspiration et essayé de voir quelles cliniques pratiquaient plus d’aspiration que la moyenne, sans déclarer d’IVG. Les données permettent en effet avant tout de facturer les hôpitaux et cliniques, il faut donc aller voir plus précisément pour voir comment se distiguner une aspiration pour une IVG et une aspiration pour une fausse-couche ou interruption médicale de grossesse.

Nous avons identifié quelques cliniques, mais les raisons pour un nombre important de fausses-couches peuvent être multiples : IVG cachées, recours plus fréquent à la chirurgie que dans les hôpitaux, diagnostice pré-natal plus important, etc. Nous n’avons pas pu comptabiliser avec certitude les établissements réalisant des IVG masquées.

D’autres pistes étaient impossibles à suivre, faute de données de qualité. Ainsi, dans la SAE, existent des champs sur le personnel impliqué dans certains domaines, dont l’IVG. Mais il se trouve qu’il y a de grosses incohérences, soit d’une année sur l’autre, soit entre établissements. Des incohérences confirmées par les responsables de la base. Abandonnée donc la piste d’explorer l’évolution du nombre de professionnels par ce biais. Ce qui nous aurait permis de vérifier des détails sur les démographies des hôpitaux et voir si les données reflétaient les problèmes du Bailleul (Sarthe) ou de Fougères (Ille-et-Vilaine) notamment, où les avortements s’étaient arrêtés faute de personnel.

L’étude des IVG «en ville» aurait également permis d’enrichir notre travail, mais la Sécu n’a rien souhaité nous communiquer précisément. Là encore, une colonne de la SAE permettait de connaître le nombre de conventions passées avec des praticiens, mais les chiffres présentaient des incohérences. En plus, les IVG médicamenteuses peuvent être pratiquées par n’importe quel médecin ou sage-femme.

Nous nous sommes alors tourné vers le site IVGlesadresses listant les professionnel·les pratiquant les IVG. En récupérant les données du site, nous avons vite découvert que le site était incomplet. Une information qui est devenue partie intégrante de notre enquête, non pas en tant que source, mais en tant qu’obstacle supplémentaire.

Temps de chaque commune à l’établissement hospitaliers pratiquant des IVG par aspiration le plus proche.

Des déclinaisons

Une fois toutes ces données obtenues et le tableau national brossé, nous avons réalisé quelques zooms locaux, dont la Loire-Atlantique pour Mediacités. Les données de la Drees donnant la proportion d’IVG «en ville» et dans les établissements hospitaliers par département pour 2017 permettent d’affiner l’analyse, et de savoir quelle est l’importance de nos calculs de trajet dans la réalité de la pratique de l’IVG localement. En Loire-Atlantique, par exemple, très peu d’avortements sont réalisés hors des établissements hospitaliers.

Ce à quoi s’ajoutent d’autres informations locales, comme les plans d’accès à l’IVG réalisés par les ARS de plus ou moins bonne qualité – je les ai regroupé dans un dossier Dropbox, ou grâce au Planning familial. L’idée étant que d’autres, localement, s’emparent des données et fasse une analyse autour de chez eux. Signalez le nous si vous le faites !

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