L’avenir de la presse, c’est pas que je n’en ai rien à faire, mais je suis plutôt attentiste. Cela étant posé, je vais maintenant parler de Wikileaks. Tout cela est donc moins une glose que des réflexions personnelles sur trois choses. Le data-journalisme, le « contributif » et Wikileaks. Pour être honnête, tout cela part d’une réaction à la lecture de l’article de Narvic, fortement conseillé par mon entourage numérique et de quelques autres « commentateurs » pour reprendre le langage en vigueur chez Nicolas Sarkozy.
Sur Wikileaks
Tout d’abord, j’ai eu besoin de savoir ce que disait Wikileaks de lui-même. Pas un seul endroit ne se prétend-il « média ». Un média est chargé d’être le relais entre les faits et les gens. Wikileaks ne sert que de robinet de faits et ne se prétend pas autre chose. Aux journalistes ensuite de manipuler ces faits pour en faire de l’information. Julien Assange a-t-il prévu de révolutionner la presse ? J’ai jamais lu ça. Olivier Tesquet nous rapportait que Wikileaks souhaitait trois choses : « libérer la presse, révéler les abus et créer et sauvegarder les documents qui font l’Histoire ». Pour ce qui est de libérer la presse, je ne sais pas s’ils peuvent avoir autant d’ambition avec le seul outil qu’ils proposent (quoi, j’ai dit outil ?). En tout cas, je pense que ça aide à matérialiser le travail du journaliste qui part des faits pour nous proposer une information puisque les faits présentés par Wikileaks et le travail de sélection du journaliste deviennent concrets. Voir que le New York Times fait le tri dans les logs sur la guerre en Afghanistan, non seulement ça me paraît normal, mais en plus, ça me redonne un peu confiance en une « caste » qui apparaît, sûrement à tort, toujours pour les non-initiés comme proche du pouvoir et diffusant des informations partielles. Oui, je développe une vision populiste du journaliste. Je ne dis absolument pas que j’y adhère. Je dis que donner une vitrine sur une partie de leur travail permet de redonner un brin de confiance.
Contributif
Concernant la contribution de l’internaute, Narvic se lance dans une grand bataille contre le mot contributif et l’application d’owni, les qualifiant de naïf et d’irresponsables. Il est évident que l’outil produit par owni (oh, encore un outil et pas une « information ») n’a pas vocation a rassembler la France entière qui irait passer des heures à décoder ces logs, ou historique d’événements en français. Je pense simplement qu’ils ont voulu proposer un moyen à ceux qui le souhaitaient de pouvoir avoir un accès simple au fichier sql proposé par Wikileaks. Certainement le même genre d’outils dont ont du disposer les journalistes travaillant dans les médias « partenaires » de Wikileaks. Comparer un outil avec Agoravox sur le domaine du participatif est digne des journalistes dont je souhaiterai ne plus avoir à faire. Cet outil peut aider un particulier à développer un fait en particulier en lui fournissant une interface beaucoup plus agréable. Et une personne qualifiée peut retrouver des faits intrigants rapidement et les analyser à la lumière des événements relatifs pour contribuer à une analyse plus grande. J’ai dit contribuer, mince, ce doit être donc contributif.
Vaincre l’infobésité
Pour ce qui est de l’apport de ces documents au journalisme en général il est sûr que ce n’est pas le scoop du siècle, puisque tous les journalistes suivant la guerre en Afghanistan nous ont donné ces informations. Le fait que nous soyons englouti par des informations toujours plus nombreuses et les gens ne parviennent plus à faire le tri semble échapper aux personnes baignant dedans. Je ne me passionne pas pour la guerre, je ne lis pas (à mon grand regret) régulièrement le blog de Jean-Dominique Merchet et la dernière fois que j’ai tenté d’avoir de l’intérêt pour tout ça, ce fut lors de la cérémonie d’hommage suite au décès d’un petit nombre de militaires français (j’adore regarder les cérémonies et les enterrement, l’étiquette m’intéresse et les commentaires de ce grand journaliste qu’est Jean-Claude Narcy m’enchantent). Donc un ensemble de faits, rassemblé par les militaires uns à uns et présenté par Wikileaks dans une base de données sql, c’est plutôt un bon moyen pour les engloutis de prendre conscience des atrocités de la guerre, de ses difficultés et autres. Parce qu’en trois minutes, on peut déployer tout ça sur une carte et que même si je suis « geek » selon certains, je trouve cela beaucoup plus marquant pour le non-initiés que des articles que je ne lis pas ou des photos dont la violence ne me choque plus tant elles sont nombreuses, dispersés entre d’autres images violentes et pas informatives pour un sou.
Données, données ? Moi ?
Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais j’ai soigneusement évité le mot données dans mes lignes précédentes. Il semble y avoir une confusion autour de ce terme et de celui de journalisme de données. Ainsi, Thibaut Thomas, étudiant-chercheur, nous raconte que ce ne sont pas des données, mais des « rapports, des documents, des témoignages, des listes d’événements » Les données ne seraient que » représentées par une série de 0 et de 1 ou par des tableurs !« . Ah. Je suis informaticien de formation, et au moins à ce sujet, je peux lui répondre que tout ce que je mets sur mon ordinateur n’est qu’une suite de 0 et de 1. Donc tout serait une donnée ? Peut-être. Est-ce que quelqu’un qui recense tous les achats qu’il fait au supermarché recueille des données ? Je pense qu’on peut dire que oui, qu’on peut traiter ces données, et qu’on peut en tirer des analyses tout en restant prudent sur le fait que ces données ne veulent rien dire d’autre que ce qu’elles disent. Wikileaks produit une description élémentaire d’une chose, d’un événement et produit donc des données.
Ah, le data-journalisme
Est-ce que Wikileaks est du journalisme de données ? Non, ils produisent des données. Encore une fois, c’est au tour du data-journaliste de prendre ces données et de les exploiter pour offrir au lecteur une autre manière de voir l’information, un autre angle. Est-ce que le data-journalisme ne consiste qu’à mettre des données sur une carte ? Personne n’a jamais prétendu ça à part ses contradicteurs.
Et pour finir sur le rapport Dutroux, puisque tant qu’à faire autant partager les mêmes conclusions, je m’étonne qu’on tombe sur Wikileaks alors que c’est la presse qui s’en fait écho, plus d’un an et demi après la publication. Est-ce que publier ce document tel que est dangereux ? Pas forcément, puisqu’on n’a pas entendu de suite à cette publication. La reprise de cette sortie par toute la presse de manière hypocrite qui relaie l’inquiétude des familles tout en faisant un lien vers le dit rapport ne serait-elle pas plus dommageable ? Non, les journalistes doivent savoir ce qu’ils font. Wikileaks me donne au moins l’impression de pouvoir me faire mon avis sur l’avis des journalistes.
5 réponses sur « Wikileaks, simple outil. »
Quant à savoir si Wikileaks joue avec le feu en publiant des noms d’afghan, comme il ne semble que c’est un prétexte, je n’ai pas relevé. Il me paraît évident que personne ne soutiendra qu’il faut mettre des gens en danger pour libérer la presse. J’attends cependant qu’on me montre des exemples d’afghans tués à cause de Wikileaks.
Salut,
Le journalisme, en tout cas la responsabilité éditoriale, est en jeu dès l’acte de publication des informations, et en réalité elle a commencé avant, dans la sélection de ce qui est publié.
Alors non, Wikileaks n’est pas un outil, mais un média à part entière, et son activité relève du journalisme. Reste à ses membres à assumer réellement leur responsabilité.
(Sinon, le terme data devrait être réservé à ce qui est vraiment des data, c’est à dire des informations au sens mathématique du terme, des données élémentaires sous forme alphanumérique. Le reste, ce sont des documents, et non des data.)
le pôvre narvic qui ne sait décidément pas ce qu’est le datajournalism – et pire (car jusque là…) ce qu’est une donnée…
repris c’est volé.
närvé c’est gâché.
Mon pôvre charlie, j’ai bien peur que ce soit plutôt vous qui n’ayez pas la moindre idée de la différence entre une donnée et un document. #fail
Ce que j’ai du mal à comprendre, alors, Narvic, c’est ce que sont les data comme vous dites. Avez-vous de vrais exemples.
Il me semble que votre voeu de virginité de la donnée ne soit qu’un voeu pieu tant il y aura toujours autre chose qu’un chiffre dans une donnée.