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« 20% pour l’horreur, 20% pour la peur... »

« Fils de France », Saez, 22 avril 2002

C’était il y a vingt ans. Le morceau a été diffusé pendant l’heure de trajet de bus qui m’emmène à la ville, au lycée. Il résonne dans les hauts-parleurs qui diffusent Radio Scoop ou Fun Radio. Je me souviens encore du début de la chanson, reprenant des bribes de journaux télévisés et cette phrase : « 40% des 18-25 ans n’ont pas voté. » Les cris, les pleurs et la voix nasillarde qui commence.

La veille, j’ai participé en curieux au dépouillement. « Jean-Marie Le Pen, Jean-Marie Le Pen, Jacques Chirac... » Le nombre de voix en faveur de Jean-Marie Le Pen me semblait assez important mais j’avais attribué ça à un particularisme local. Ce dimanche là, dans mon village, Jean-Marie Le Pen a recueilli 189 voix, Jacques Chirac 85 et Lionel Jospin 75.

Une heure et quelques plus tard – le temps de remonter du village – il est 20 heures. Le visage de Jean-Marie Le Pen flotte à côté de celui de Jacques Chirac sur l’écran de télévision. Les mines des présentateurs sont contrites.

La suite, c’est cette chanson dans le bus, ses slogans un simplets : « Tous fils de France ! » aux airs de « Touche pas à mon pote » un peu vide de sens, appels à « la nation des droits de l’homme » et celle des « Lumières ». En plein cours d’histoire, une porte s’ouvre. On part à Lyon en train. La SCNF ne fera pas payer les manifestant·es souffle la rumeur. La moitié de la classe se vide. Je n’en serai pas, je ne me vois pas partir à l’inconnu à 14 ans.

Je me souviens de la une de Libé, barrée d’un « Non », des déclarations d’intention, des « Plus jamais ça ». De la victoire de Jacques Chirac. Et de sa promesse de rassemblement écrasée par sa victoire aux élections législatives quelques semaines plus tard.

« Président de tous les Français, je veux y répondre dans un esprit de rassemblement. Je veux mettre la République au service de tous. »

Jacques Chirac, 5 mai 2002

Hier, 10 avril 2022, 42% des 18-24 ans n’ont pas voté à en croire Ipsos. Marine Le Pen est arrivée deuxième du scrutin avec 23% des voix. La surprise aurait été qu’elle n’y soit pas. Emmanuel Macron a promis le rassemblement.

Les faits sont les mêmes, la colère en moins. On pourrait reprendre les slogans de Saez, les comparaisons entre le front républicain et l’esprit de la résistance. Sûrement en vain. A quoi ont pensé ce matin les jeunes dans leur bus, pendant l’heure de trajet qui les mène à la ville ?

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