Les archives publiques sont protégées en France, mais de nombreuses exceptions permettent de les consulter avant les délais légaux. Exemple inabouti avec la tentative d’organisation par le ministère des solidarités et de la santé du « Dry january » en 2020.
Parmi les traditions arrivant avec la nouvelle année, existe depuis quelques années celle qui consiste à mettre un frein à l’alcool pendant un mois. L’initiative s’appelle Dry January, et est portée par des associations et plusieurs collectivités.
En 2020, quelques semaines avant le début de la pandémie dans laquelle nous sommes toujours englués, Dry January se tient. Quelques articles ont évoqué, quelques mois plus tôt, le fait que cet événement devait être porté par Santé Publique France, mais que tout a été arrêté à la suite de pression des professionnels du vin – on peut par exemple remarquer ce petit billet publié par le site des élus de la vigne et du vin.
Pour explorer quels documents publics il était possible de récupérer sur ce sujet, et pour éclairer l’impact des lobbyistes sur la décision publique, j’ai demandé au ministère des solidarités et de la santé en février 2020 « les échanges (mails, documents et notes prises lors des rendez-vous) réalisés entre la ministre ou son cabinet au sujet du “Dry january” avec les organisateurs de l’événement et les associations partenaire listées sur leur site ».
Je m’appuie, pour cette demande, sur les avis de la CADA déjà rendus sur la validité d’une telle demande à l’occasion des échanges entre les membres du cabinet de différents ministres et des représentants des GAFAM (voir ici). Ces demandes ont un principal problème : elles peuvent être considérées comme trop floues par l’administration.
Accès aux archives
Ma demande a navigué pendant plusieurs mois de Charybde en Scylla. Mi-février, Agnès Buzyn est nommée tête de liste aux municipales à Paris pour le parti présidentiel et quitte le gouvernement. Ce qui veut dire que son cabinet est démantelé et que l’ensemble des documents sont envoyés aux archives. Mi-mars, le premier confinement s’installe en France, et les délais administratifs s’allongent.
La CADA a rendu un avis sur cette demande près d’un an plus tard, en mars 2021. Le ministère des solidarités et de la santé a indiqué à la commission « qu’il ne détenait plus les documents sollicités, ceux-ci émanant du cabinet de l’ancienne ministre de la santé et ayant été versés aux Archives de France en application des dispositions des articles L211-1 et suivants du code du patrimoine ».
La commission conclut donc que la demande de communication est « irrecevable » et invite le ministère des solidarités et de la santé à « la transmettre, accompagnée du présent avis, au service interministériel des archives de France afin qu’il puisse y apporter une réponse après avoir mis en œuvre la procédure prévue par les articles L211-1 et suivants du code du patrimoine ».
Le ministère des solidarités et de la santé a anticipé cet avis, puisqu’en janvier 2021, j’ai reçu un mail m’indiquant que les documents demandés relèvent de la Mission des archives de France auprès des ministères sociaux, qui assure la conservation des versements et « instruit les demandes d’autorisation prévues à l’article L. 213-3 du code du patrimoine pour le compte de l’administration des archives ».
Le mail ajoute que « conformément au protocole signé par madame Buzyn, l’accord de la ministre est requis pour toute demande d’accès à ces archives ». C’est là que ça devient intéressant : le refus ou l’absence de réponse d’Agnès Buzyn à ma demande de dérogation correspond à une décision sur laquelle la Cada peut à nouveau être saisie. Ma demande aux archives reçoit une réponse par courrier en juillet 2021, confirmant l’absence d’accord d’Agnès Buzyn.
Le courrier est intéressant, puisqu’il permet de connaître les documents et informations existants parmi les archives, que ce soient des réunions, les personnes impliquées ou les dates analysées. Ce qui a, depuis, entraîné plusieurs nouvelles demandes de documents.
Avis défavorable mais passionnant
L’avis de la CADA à la suite du refus implicite d’Agnès Buzyn l’est tout autant. Elle pèse le pour et le contre entre le délai de vingt-cinq ans protégeant les délibérations des membres du gouvernement et l’intérêt légitime de ma demande.
« La commission observe que le demandeur, qui a la qualité de journaliste, inscrit sa démarche dans une finalité de recherche journalistique. L’intéressé sert un objectif d’information du public et cherche à alimenter le débat public sur une affaire médiatisée ayant posé la question des liens qu’entretiennent les pouvoirs publics avec les associations et les industriels, présentant un intérêt public. »
Avis de la CADA n°20215602
La CADA cite notamment une décision du Conseil d’Etat rendue en juin 2020, au sujet de la consultation par un chercheur des archives présidentielles sur le Rwanda, à l’époque de la présidence de François Mitterrand.
Toutes ces réflexions de la CADA n’ont pas été aussi favorable que pour les archives sur le Rwanda : la CADA a rendu un avis défavorable à ma demande. Elle estime « qu’en dépit de l’intérêt légitime du demandeur, la communication par anticipation aux délais légaux de communicabilité est, à ce jour, de nature à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger », notamment en raison du « caractère extrêmement récent des informations contenues dans les dossiers d’archives demandés » et au fait que les documents contiennent des « informations sensibles », dont certaines « se rapportent à des personnes qui sont encore en fonction ».
Et en ce début d’année 2022, le défi de janvier, ainsi qu’il s’appelle en Français, est renouvelé, « pour un meilleur sommeil, des économies dans votre porte-monnaie, plus d’énergie, une plus belle peau, et bien plus encore ». bonne année !